Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Défi Marathon #2

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Image par Steve Johnson de Pixabay

Contrainte : Les dialogues

Elle avait écrit deux paragraphes supplémentaires – tout à fait médiocres selon elle – quand elle décida de faire une pause. Une vraie pause, pas une pause Twitter/Tiktok le regard fixé sur son téléphone et les fesses toujours vissées à sa chaise. Elle sortit de son studio en claquant la porte, seul moyen de pouvoir caler suffisamment la serrure pour fermer à clé, et descendit rapidement les cinq étages qui la séparaient du rez-de-chaussée. Arrivée en bas, elle poussa la porte de droite sans frapper, annonçant simplement un «C’est moi !» claironnant, et se dirigeant vers la kitchenette pour se préparer une tasse de thé. Nick émergea du canapé affaissé sur lequel il était manifestement en pleine sieste.

– Grosse page blanche ?

Il avait la voix pâteuse de celui qui a s’est couché bien trop tard, après avoir bu une quantité subsantielle de boissons plus ou moins alcoolisées.

– Pire. Grosse page pas blanche du tout, remplie de tout un tas de paragraphes nuls à pleurer.

Nick se frotta les yeux pour essayer d’émerger de sa torpeur.

– Tu veux que je relise, ou tu veux juste en parler ?

Jen agitait une cuillère dans son mug de thé, provoquant des tintements qui faisaient grimacer Nick.

– Je veux… Changer d’air. J’étouffe là-haut, je tourne en rond, et toutes mes idées sentent le renfermé. Si tu relis, tu vas juste être horrifié.

– Peut-être. Mais je vais aussi te faire remarquer tout ce qui est bien. Les trucs chouettes que t’as écrits, mais qui te passent sous le nez parce que tu as la tête dedans. Mais va pour le changement d’air ! Tu penses à quoi ?

Jen n’en avait aucune idée. Le temps ne se prêtait pas à une balade, mais elle n’avait pas non plus envie de retourner s’enfermer quelque part. Elle resta muette, et Nick brisa à nouveau le silence.

– Je vois. Laisse moi le temps de prendre une douche, et on avise.

Il tourna les talons pour se diriger vers la salle d’eau, clamant avant d’en claquer la porte :

– Et arrête de te morfondre !

Jen laissa échapper un sourire. Nick la connaissait trop bien. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait finalement jeté son dévolu sur le studio du cinquième étage : avoir son meilleur ami à proximité en permanence était à la fois rassurant et stimulant. Il la soutenait toujours, l’encourageait, relisait inlassablement ses textes, et se montrait terriblement intransigeant. Un relecteur impitoyable dont elle ne saurait plus se passer.

Nick ressortit de la salle de bain les cheveux encore dégoulinants, et vint s’ébrouer juste à côté de Jen.

– Hééé !

– C’est pour te réveiller ! On fait quoi alors ? On va boire un café ? On prend un parapluie et on se balade ? On tente un musée ?

Jen faisait non de la tête à chaque proposition. Rien ne la motivait. Nick pris une pose dramatique pour déclarer :

– T’as gagné, c’est moi qui choisis ! Va préparer tes affaires, on va à la piscine !

Il éclata de rire en entendant Jen pousser un gémissement pathétique. 

– Allez, hop hop hop. Tu vas chercher ton sac, je t’attends. C’est exactement ce dont tu as besoin, ça va te vider la tête, ça va te détendre, et ton corps me dira merci. Ton cerveau aussi, mais peut-être pas tout de suite…

Nick avait raison. Évidemment. En rentrant chez elle après une heure à alterner nage et parlotte, Jen se sent fatiguée mais son cerveau est en ébullition. Elle s’installe devant son ordinateur, fait craquer ses doigts par habitude, et se replonge dans son texte. Le blocage est levé. Elle ne sait pas trop si la qualité sera au rendez-vous, mais au moins l’histoire avance, les personnages agissent, et les phrases s’enchaînent. Immergée dans son histoire, elle ne voit plus le temps passer, jusqu’à ce que…

– Hé, ça va pas non ?

Dans un sursaut, elle relève la tête et regarde autour d’elle. Envolé le studio pourri, disparus les carnets et les post-it. Elle est dans son histoire. Face à son héroïne qui, les mains sur les hanches, la toise d’un regard contrarié.

– Tu vas quand même pas me faire tomber amoureuse de cet ahuri ? Je croyais que tu prévoyais une aventure ? J’ai envie de voyager moi, pas de battre des cils en soupirant après un demeuré !

Pour le coup, c’est Jen qui bat des paupières. Elle n’y comprend rien.

– Allo ! Tu m’écoutes ? Qu’est ce que tu as prévu pour la suite ?

– Euh je… C’est à dire que, enfin, tu vois…

Jen bafouille. Elle s’est probablement endormie sur son ordinateur, et elle rêve de son histoire. Oui voilà, c’est un rêve, c’est tout. Elle glapit lorsqu’un coup de pied l’atteint violemment dans le mollet.

– C’est pas le moment de dormir ! On était bien parties là, l’histoire prenait une tournure sympa, j’ai juste pas envie que tu viennes m’engluer dans une romance, je n’ai pas besoin de ça.

– Mais comment est-ce que… ?

– Comment est-ce que tu es arrivée là ? Aucune idée. D’habitude on se contente de râler entre nous quand tu écris des choses qui ne nous plaisent pas, mais maintenant que tu es là, on va pouvoir modifier deux ou trois broutilles…

Jen essaye de récapituler dans sa tête. Elle tapait son histoire sur son ordinateur, et maintenant elle est dans son histoire. Face à son héroïne qui refuse ce qu’elle avait prévu pour la suite. Et elle va probablement rapidement rencontrer ses autres personnages qui viendront lui exposer leurs doléances et leur désidératas pour la suite. Elle hésite entre paniquer et se réjouir. La panique paraît logique, surtout que l’univers qu’elle a crée n’est pas des plus accueillants, mais elle se force à voir le côté positif de cette aventure. Elle va pouvoir discuter avec ses personnages. Ils vont pouvoir réfléchir tous ensemble à l’avancement de l’histoire, aux rebondissements, au dénouement. Quelle chance ! Il va juste falloir qu’elle évite de dire à l’un d’eux qu’elle a prévu sa mort au chapitre suivant…

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