Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

La Sirène et le Mort

4.5
(2)

Image par Stefan Keller de Pixabay

Je ne sais pas toujours d’où me vient l’inspiration quand j’écris, mais pour cette histoire, tout à commencé avec une vidéo Tiktok. Celle-ci :

– Approchez, approchez, amis et voyageurs, je veux vous partager une histoire. Ouvrez bien vos esgourdes, car si vous êtes attentifs, elle pourrait vous sauver la vie.

Laissez-moi vous conter l’histoire de la Sirène et du Mort…

– Cette vieille légende ? Plus personne n’y croit vieille femme !, l’interrompit une voix jeune et effrontée.

– Libre à toi d’ignorer les avertissements des anciens, gamins. Le jour où tu regarderas le Mort dans les yeux pendant que la Sirène t’étripera, tu repenseras à moi et regretteras de n’avoir pas écouté mes avertissements. Silence maintenant. Range ta langue et aiguise ton ouïe, je ne me répèterai pas. Si cette histoire est devenue légende parmi les nôtres, c’est que la plupart de ceux qui auraient pu en parler sont morts. La Sirène était humaine autrefois. C’était une brave gamine, pas bien grande, pas bien costaude, mais avec une détermination et un courage dont peu peuvent se vanter. Elle s’était retrouvée à bord d’un vaisseau marchand, déguisée en mousse, et la supercherie aurait pu durer un bon moment si sa route n’avait pas croisé celle du Vaillant. L’équipage pirate les aborda violemment, ce fut un bain de sang. Quand ils réalisèrent que celui qu’ils avaient pris pour un mousse et comptaient emmener à bord du Vaillant était une fillette, ils l’abandonnèrent sur place.

Seule sur ce grand navire, au milieu des cadavres baignant dans des mares de sang, la gamine tenta de survivre. En découvrant que les pirates avaient pillé les caisses de nourriture et les tonneaux d’eau, elle perdit l’esprit. Pour repousser la mort, une seule solution s’offrait à elle. Elle dévora les corps de ses coéquipiers, bu leur sang, et su qu’il lui en faudrait plus, bien plus. Chaque jour elle grignotait un morceau de chaire humaine, avant d’aller nager autour du navire. Elle s’éloignait chaque jour de quelques mêtres supplémentaires, nageait de mieux en mieux, de plus en plus vite. Seule, oubliée et perdue, elle s’oublia elle-même, et se perdit. Les cadavres restant n’offraient plus assez de chaire pour apaiser sa faim, et leur état de décomposition les rendait chaque jour un peu moins apétissants. Malgré cela, elle ne pouvait se résoudre à attraper et manger des poissons. Ils étaient si beaux ! Ils l’entouraient dès qu’elle rejoignait l’eau, l’accompagnaient, faisaient partie de sa vie. Il aurait fallu qu’elle soit un véritable monstre pour dévorer ses amis. Le jour où elle réalisa que son corps avait changé, il était déjà trop tard. Elle eu bien plus de mal que d’habitude à remonter sur le navire, ses pieds glissaient, ne la soutenaient plus comme avant. Elle en comprit la raison en les observant attentivement : ils avaient commencé à se couvrir d’écailles. Loin de s’en affoler, son esprit ne lui permettant plus de s’inquiéter de choses aussi triviales que son apparence, elle pris la décision de quitter définitivement ce bateau qui lui avait attiré tant de malheur. Elle plongea dans l’eau salée, et n’en ressortit plus jamais.

Son corps s’adapta très vite à son nouvel environnement, et c’est sous la forme d’une sirène qu’elle arpentait les mers. Une sirène sanguinaire, dont les chants cristallins attiraient marins et pirates jusqu’à leur mort. Elle se délectait de leur chaire, se sentait vivante quand elle plongeait son regard dans les yeux terrifiés et suppliants de ses proies. L’histoire aurait pu s’arrêter là, la Sirène est suffisamment dangereuse pour que chaque personne navigant sur nos océans sache se tenir à carreau en entendant sa chanson. Mais un événement a tout bouleversé, et le danger est à présent bien plus grand.

– Plus grand que de se faire dévorer vivant ?

Le gamin qui l’avait interrompue pour la seconde fois se prit une claque derrière la tête. L’auditoire tout entier le regardait d’un air sévère, et il eut le bon sens de prendre un air coupable.

– Oui, bien plus grand. La Sirène ne prend que des proies vivantes, vois-tu. Elle se repaît de la souffrance, elle aime les voir s’agiter en vain, elle joue avec. Un éqipage de pirates s’est cru plus malin qu’elle, et s’est dit que pour l’apaiser, et ne pas courir le moindre risque, il serait opportun de lui faire… Une offrande. Pendant des jours ils traînèrent derrière leur navire une ribambelle de cadavres attachés les uns aux autres. Une véritable guirlande, le côté festif en moins. Voyant passer ce cortège absurde, la Sirène fut prise d’une rage incroyable. Elle détacha chaque corps, et passa les jours suivants à les renvoyer sur le pont du bateau, morceau par morceau. L’équipage commençait à perdre pied, elle les harcelait jour et nuit sans le moindre répit. Leur capitaine était jeune, mais il avait déjà en sens de l’honneur redoutable. Il voulait sauver son équipage, les sortir de ce cauchemar, qu’ils puissent regagner un port et noyer leurs souvenirs dans autant d’alcool qu’ils pourraient en ingurgiter. Il prit sa décision, et fit la seule chose censée pour les tirer de ce mauvais pas : il se jeta à l’eau.

L’assistance retenait son souffle.

Le gamin n’osait plus ouvrir la bouche.

Toutes et tous étaient supesndus aux paroles de la vieille.

– Évidemment, la Sirène se jeta sur lui. Il savait ce qu’il l’attendait. Une mort lente et douloureuse. Des morceaux de corps arrachés, de brefs retours à la surface pour le maintenir en vie pendant toute la durée du festin. Son équipage le regardait avec en mélange d’admiration et d’effroi, mais le spectacle fut bref. La Sirène l’entraîna au plus profond de l’océan et, au lieu de le dévorer, le regarda se noyer. Elle regarda ses poumons s’emplir d’eau, sa vie s’échapper, ses yeux se ternir. Et au dernier moment, alors que la mort l’enlaçait, elle lui mit un morceau de chair entre les dents. Sa propre chair, écailleuse, bleutée. Et le capitaine mourut. Il se réveilla cependant, des heures plus tard, toujours dans les profondeurs les plus sombres de l’océan. Il ouvrit ses yeux morts, sentit les mains de la Sirène prendre les siennes et sut que sa place serait là pour toujours. Depuis, ce couple maudit hante nos océans, et malheur à ceux qui croiseront leur route. Malheur à ceux qui entendront leur chant, et qui le suivront, attirés par sa pureté terrible.

Yo ho, all hands

Hoist the colors high

Heave ho, thieves and beggars

Never shall we die

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