Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Défi Marathon #3

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Image par Bruno /Germany de Pixabay

Contrainte : Conflits

Des petits coups sur sa porte la font émerger. Elle se retourne et et le décor se brouille sous ses yeux, jusqu’à ce qu’elle reconnaisse son studio. Elle va ouvrir la porte d’un pas chancelant, et n’est pas surprise de découvrir Nick, appuyé contre le chambranle avec son éternel sourire en coin.

– Relecteur au rapport M’dame !

Jen laisse échapper un rire creux. Elle se sent perdue, elle ne sait pas si elle doit lui parler de ce qu’elle vient de vivre, ou si protéger ce secret serait plus prudent. Il va penser qu’elle a définitevement pété les plombs.

– Jen ?

Nick agite la main devant ses yeux. Elle se force à reprendre ses esprits et à lui sourire.

– J’ai peut-être… Hum. Il s’est passé un truc.

Quand elle termine son récit, Nick la regarde en silence. Il hésite à parler.

– Vas-y ! Dis-le ! Tu penses que ça y est, c’est le grand jour, le jour où j’ai finalement perdu pieds !

– Jen…

– Tu crois que je ne sais pas que ça n’a aucun sens ? Tu crois que j’ai pas l’impression que je suis en train de vriller ? Je sais que c’est totalement impossible, que c’est absurde, que rien de ce que je t’ai raconté n’a de sens. Je le sais.

À court de mots, Nick serre Jen dans ses bras.

– Que ce soit vrai ou pas, possible ou pas… On s’en fout non ?

Jen le dévisage comme si elle le voyait pour la première fois.

– Comment ça on s’en fout ? J’ai des hallucinations, et on s’en fout ?

– Non, non, Jen, tu m’as mal compris ! Déjà je ne pense pas que tu aies des hallucinations. À la rigueur, un rêve lucide, mais pas des hallucinations. Ce que je dis c’est que… Ça ne t’as pas mise en danger, si ? Il ne s’est rien produit de dangereux, et tu as dit toi-même que ça allait t’aider à avancer. Donc réel ou pas… Peu importe ?

– Mais… Mais si c’était vraiment une halucination ?

Nick hausse les épaules, la regardant d’un air désabusé.

– Va consulter alors. Mais moi je pense que tu devrais saisir cette occasion, t’immerger dans ton livre, si tu me pardonnes l’expression, et arriver au bout de cette histoire.

Allongée sur son lit, Jen réfléchit à cette idée.

– Mais tu trouves pas que c’est de la triche ?

– Comment ça de la triche ?

Nick a une voix absente, il ne l’écoute que d’une oreille plongé dans sa lecture sur l’ordinateur de Jen.

– De la triche d’utiliser… Ça, ce truc bizarre, pour écrire mon histoire. C’est pas comme ça qu’on est censé faire quand on écrit un livre !

Jen s’énerve à nouveau et Nick a du mal à comprendre pourquoi.

– Ah oui ? Et on est censé faire comment alors, d’après toi ?

– C’est censé être long, difficile, on doit donner de sa personne pour bâtir son univers, animer ses personnages…

– Mais tu t’entends Jen ? C’est vraiment ça la vision que tu as de ton métier ? Un truc pénible, presque insupportable, que tu dois subir sinon c’est de la triche ?

C’est au tour de Nick de s’énerver. Le côté auteur torturé seul face à sa page blanche, très peu pour lui. Il essaye de se calmer, de poser sa respiration avant de reprendre :

– Pour bien travailler, il faut avoir l’intelligence d’utiliser tous les outils qu’on a à sa disposition. Est ce que c’est de la triche d’utiliser un ordinateur au lieu d’une machine à écrire ? Ou au lieu d’une plume et d’un encrier ? Est ce que c’est de la triche d’utiliser un correcteur orthographique ? De partager des idées, travailler avec d’autres personnes ?

Un silence assourdissant lui répond. Jen ne sait pas, ne sait plus. C’est vrai qu’au début, elle s’amusait quand elle écrivait. Les idées venaient à toute vitesse, elle noircissait des pages et des pages sans se lasser, sans se heurter au moindre obstacle, elle pouvait passer la journée à écrire. Et puis au fil du temps, elle a perdu quelque chose en route. Les mots et les idées ont commencé à venir moins vite, à être moins convaincants. Les journées d’écriture se sont peu à peu transformées en journée de lutte, une lutte contre elle-même et contre la lassitude. Comment a-t-elle pu en arriver là ? Et si Nick avait raison ? Si cet événement bizarre, surnaturel était juste un nouvel outil à utiliser, celui dont elle avait si déséspérement besoin pour retrouver l’étincelle qui l’animait auparavant ? Ce serait absurde de s’en priver. Mais malgré tout, elle ne peut s’empêcher de trembler. Une petite voix lui souffle que ce n’est pas un outil, qu’il s’agit plus probablement du premier symptôme d’une maladie étrange qui lui rongerait le cerveau petit à petit. Est-elle prête à risquer sa santé mentale – et sa vie – pour une histoire ? Ce sacrifice serait-il justifié, ou totalement absurde ? Elle lève la tête vers Nick, le regardant d’un air vide. Il a reprit sa lecture, et marmonne en ajoutant des commentaires sur son document. Ils ont traversé tellement de choses tous les deux, tellement de tempêtes et de souffrances, adoucies par des joies intenses. Jen se lève et passe ses bras sur les épaules de Nick, posant son menton sur le haut de sa tête.

– Ok.

C’est juste un souffle, une réponse fantomatique que Nick ressent plus qu’il ne l’entend. Il se tourne vers elle en souriant.

– Ok ?

– Je vais le faire Nick. Je vais retourner dans mon livre. Je vais parler avec mes personnages. Et je vais écrire la meilleure histoire de ma vie.

– Non non. Tu vas écrire la meilleure histoire du monde ! Mais d’abord, tu vas corriger tout ce que je t’ai marqué, parce qu’effectivement, on sent que c’était laborieux ton truc !

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