Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Défi Marathon #4

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Image par Никита Гурский de Pixabay

Contrainte : Kill your darlings

– Bon, voilà qui clôture cette réunion.

Jen referma son classeur d’un coup sec.

– Ces états généraux ! On avait voté pour le nom !

Elle soupire en regardant Elka, son héroïne.

– Ces états généraux, pardon. Tout ce qui était à l’ordre du jour a été abordé et voté. Est-ce que quelqu’un a encore quelque chose à dire ? Je ne peux pas m’attarder, j’ai des heures d’écritures devant moi pour construire tout ce que nous avons décidé.

Une petite main se leva à l’autre bout de la table.

– Euh, du coup, moi… ?

– Ah oui. Kirin. Pour l’instant, rien ne change. Tu as été écrit, tu as quelques scènes, on garde ça. Tu seras le premier averti en cas de changements. Je ne peux pas te garantir plus, tellement de choses vont être modifiées que tu n’apparaîtras peut-être pas dans la version finale. Je suis désolée…

Le petit garçon baissa la tête. Jen se sentait terriblement coupable. Opérer des changements dans son histoire était indispensable, mais cette proximité nouvelle avec ses personnages rendait les choses bien difficiles.

– S’il n’y a rien d’autres, je vous laisse. N’hésitez pas à noter vos idées et à discuter entre vous. Nous en parlerons à la prochaine réunion.

– ÉTATS GÉNÉRAUX.

– États généraux. Soyez attentifs aux changements qui vont s’opérer pendant les prochaines heures. Je repasse lundi, on fera un point.

Sur ces derniers mots, Jen ferma les yeux. En les ouvrant sur le décor familier de son studio, elle se sentit soulagée. Ces réunions l’éprouvaient plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle qui avait pensé tricher en utilisant cette possibilité de discuter de vive voix avec ses personnages ! Elle était tombé de haut. Il fallait maintenant qu’elle compose avec des réclamations en tous genres, des égos froissés, et des idées absurdes. Heureusement, Elka réussissait à maintenir un semblant de cohésion au sein de cette joyeuse troupe. Cela avait permit à Jen de faire de gros progrès sur son histoire. La trame était fixée, et les personnages suffisamment consistants pour être intéressants. Parfois même un peu trop consistants, ce qui rendait les réunions si fatiguantes.

Elle s’écroula sur son lit, repensant à tout ce qu’elle allait devoir écrire. Les modifications tenaient la route, elles enrichiraient l’histoire. C’était le bon côté. Le mauvais côté, c’était le petit Kirin. Un garçon de dix ans qu’elle avait inclus dans son récit au tout début, et dont elle ne savait plus vraiment quoi faire. En temps normal, elle se serait contenté de supprimer le personnage, mais là… À chaque fois qu’elle l’envisageait, elle revoyait ses grands yeux innocents, son sourire grand comme le soleil qui montrait les deux dents qu’il venait de perdre. Discret et très malin. Un petit format perdu dans un monde d’adulte. Qu’est ce qu’elle allait pouvoir faire de lui ? Elle ne lui avait pas écrit de famille, il était le seul personnage sans aucune attache.

Elle n’avait pas bougé de son lit quand Nick vint la chercher pour aller dîner. Il s’affala à côté d’elle.

– Alors, ces états généraux ?

Elle se tourna vers lui avec un gémissement.

– Tu t’y mets aussi ? C’est juste des réunions. Interminables et épuisantes, mais de simbles réunions. On ne prépare pas la guerre.

Malgré la pénombre elle devinait le sourire de Nick.

– Appeler ça des états généraux donne une dimension plus dramatique. T’aimes ça d’habitude ! Les dramas, la grandiloquence, tout ça.

– Je pense qu’Elka a une mauvaise influence sur toi.

Nick pouffa de rire.

– Peut-être. J’aimerais bien la rencontrer. J’adore sa façon d’organiser les choses.

Étouffant un baillement, Jen ressentit le besoin de clarifier les choses :

– Tu sais qu’elle n’est pas réelle hein? Sa personnalité, sa façon de parler, d’être. Ça ne vient pas d’elle, ça vient de moi. C’est moi qui l’ai écrite comme ça. C’est un personnage fictif.

– Et alors ? Tu n’es jamais tombée amoureuse d’un personnage fictif ?

Jen garda le silence. Maintenant qu’elle y pensait, effectivement… Mais pour une raison qu’elle ignorait, elle sentait le besoin de garder Nick et Elka loin l’un de l’autre. Ils n’appartenaient pas au même monde. Ces deux aspects de sa vie devaient restés à distance, cloisonnés. C’était pour le mieux.

Nick avait senti le malaise dans le silence de Jen, et décidé qu’il était largement temps d’aller se remplir l’estomac avec les délicieux ramens du restaurant d’en face. Malgré tous ses efforts pendant le dîner, il n’arrivait plus à dérider Jen. Elle semblait perdue dans ses pensées, probablement toujours à moitié dans son autre monde. Il aurait tellement voulu pouvoir l’accompagner. Imaginer cet univers en lisant et corrigeant les écrits de Jen était une chose, mais pouvoir le découvrir de ses propres yeux… Avoir la possibilité d’échanger avec les personnages, apprendre à les connaître, connaître leurs ressentis ! Il essayait de faire taire sa jalousie pour soutenir Jen, mais elle rendait cela de plus en plus difficile. Elle se perdait dans des détails, lui racontait ses rencontres en long en large et en travers, et il ne pouvait rien faire d’autre que sourire en hochant la tête. Elle ne réalisait pas la chance qu’elle avait.

– Nick ?

– Désolé, j’ai décroché. Tu disais quoi ?

– Je parlais de Kirin. Je ne sais pas quoi faire de lui, je n’ai pas envie de l’effacer.

– Tu veux qu’il ait une place importante dans l’histoire, ou qu’il passe juste comme ça en toile de fond ?

– C’est justement ça mon problème. Je l’avais écrit en toile de fond, mais je pense qu’il serait mieux au coeur de l’intrigue. Il a les qualités pour. En toute modestie, je l’ai drôlement bien écrit ce petit bonhomme.

La réflexion décrocha un sourire chez Nick.

– C’est vrai qu’il est attachant. Il n’a pas de famille ?

– Pas pour l’instant.

– Un pouvoir magique, une capacité spéciale, quelque chose qui pourrait donner envie à Elka de l’embarquer dans l’aventure ?

Nick était lancé et réfléchissait à toute vitesse.

– Rien du tout. C’est un gamin tout à fait banal.

– Alors c’est pour ça qu’Elka va s’attacher à lui. Elle a besoin de normalité. Pousse le sur le devant de la scène, ça va faire des étincelles.

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