Champ d’orties

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Course Nocturne

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Course nocturne

J’ai toujours aimé la nuit. L’obscurité, la tranquillité, la discrétion. Le silence. Personne ne me voit, personne ne m’entend. Je cours. A grandes foulées, sans but précis, je cours.
– – –
Quelque chose ne va pas cette nuit. Un décalage. Une vibration dans l’atmosphère. Ils me suivent. Je le sais, je le sens. Ils ne me rattraperont pas.
– – –
J’accélère. Ils m’ont presque attrapé la nuit dernière, cela ne se reproduira pas. Je sais pourquoi Ils me poursuivent. Ils veulent m’empêcher de courir, m’arrêter. Définitivement. J’ai besoin de ma liberté.
Je cours pour le plaisir, sans autre but qu’atteindre la plénitude que m’accordent mes courses sous l’œil de la lune.
Je cours, et je m’abreuve du silence, je tire mes forces de cette lune qui mène sa propre course au dessus de moi. Elle est pleine ce soir. Je ralentis pour l’observer, puis repars, en allongeant encore ma foulée.
Personne ne m’attrapera.
– – –
Mes escapades sont de plus en plus longues. Je sens toujours la présence de mes poursuivants, comme une ombre qui plane, qui approche. Mais je cours toujours. De plus en vite, empruntant des chemins inconnus, découvrant les secrets de la ville. Les recoins et les ruelles, les ponts et les allées. Je traverse des jardins, en continuant à courir. 
– – –
Je ne vois plus la lumière du jour. J’appartiens à la nuit désormais, et la nuit m’appartient. Mais les ombres se rapprochent, je le sens. Je me retourne de plus en plus, pour essayer de les apercevoir. Je change de chemin brutalement, pour essayer de les perdre. En vain. Cette présence me pèse, et ma course se fait moins fluide. Ma respiration devient saccadée, mes foulées hésitantes.
– – –
Cette nuit n’en finit pas. Elle me paraît interminable, et je retrouve ce plaisir d’une course sans effort. Les étoiles m’entourent et m’apaisent. J’ai quitté la ville pour courir à travers champs, et tout est paisible. Les battements de mon cœur résonnent dans mes oreilles, étouffant les sons de la nature. Je suis seul au monde quand je cours. Seul au monde tout court aussi, peut-être, à force de traverser ces nuits désertes sans autre compagnie que celle de la lune. Et pourtant je ne souffre pas de la solitude. Je l’accueille comme une vieille amie, elle me prend dans ses bras, m’entoure de sa fraîcheur qui contraste avec la moiteur de mon corps.
– – –
Mes poursuivants sont revenus. Certains tentent de m’attraper, d’autres installent des obsatcles en travers de ma route. Pour l’instant, je les ai tous franchis sans m’arrêter, ralentissant à peine. Mais la fatigue me gagne, je ne sais pas combien de temps je pourrais tenir face à eux. Un sentiment de lassitude me prend par moments. À quoi bon ? À quoi bon courir, à quoi bon m’obstiner, et continuer ? Dans quel but ? Je ne sais même plus quand j’ai commencé à courir, ni pourquoi. Mes souvenirs s’estompent, se brouillent. Tout se mélange. 
– – –
Cette nuit, ma course a été particulièrement brève. Quelques mètres à peine, le long d’un ruisseau. 
– – –
Les nuits raccourcissent, mais peu importe : elles s’enchaînent, et mes courses m’emportent toujours plus loin. Je ne sais pas où je suis, tout m’est inconnu. Mais je cours. J’allonge mes foulées, j’étire mon corps, je le pousse au bout de ses limites. Je l’ai tellement entraîné que j’ai parfois l’impression qu’il coure tout seul. Quand je veux m’arrêter, mes jambes continuent et me poussent en avant.
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La lassitude commence à remplacer la passion. J’ai perdu l’envie de courir, mais l’habitude est tellement ancrée que mon corps le réclame. Alors je continue. Avec moins d’entrain, moins de vitesse, moins de sérénité. Je sens toujours la présence de mes poursuivants, mais elle me paraît plus diffuse. Comme si eux aussi se lassaient, et réduisaient leurs efforts. Je rencontre encore quelques obstacles, mais ils se raréfient. La nuit devient pesante.
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C’est une nuit sans lune ce soir. Malgré les étoiles, l’obscurité perd son aspect rassurant, elle devient oppressante. Mes jambes me portent toujours, mais mon esprit vagabonde. Je voudrais rentrer chez moi. Retrouver le confort d’une maison, d’un quotidien apaisant. Renouer avec ma famille, mes amis. Mais je ne peux pas. Ou peut-être que si ? Si je me laisse rattraper, me ramèneront-ils chez moi ? Et si la vraie liberté, c’était d’arrêter de fuir ?
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Je n’arrive pas à me convaincre de me laisser rattraper. Je savoure chaque nuit, comme aux premiers jours, convaincu que ce sera la dernière, que je vais m’arrêter, mais je recommence à courir la nuit suivante. J’ignore s’il s’agit de courage ou de lâcheté. De persévérance ou d’inconscience.
– – –
Je n’ai jamais ressenti ça. Je n’ai jamais couru aussi vite. Mon énergie me paraît décuplée, et je cours si vite que je sens à peine le sol sous mes pieds. À quoi pensais-je ? Je ne me laisserai jamais rattraper. Je vis pour courir. Je cours pour vivre. 
– – –
Je n’ai pas vu le bord de la falaise. Je courais trop vite. La chute est longue, infinie. La course est finie.
– – –
«Heure du décès : 23h12»
Le médecin a la voix lasse. Il va devoir parler à la famille, voir l’espoir s’éteindre dans leurs yeux. Ce n’est pas la partie de son travail qu’il préfère, mais il leur doit ces dernières explications.
«Votre père est resté quelques semaines dans le coma, ce qui était déjà préoccupant. Ses épisodes de tachycardie à répétition ont progressivement affaibli son organisme, malgré nos tentatives pour ramener son cœur à un rythme normal. À chaque fois, ses espoirs de sortir du coma s’amenuisaient. Son cœur a fini par s’arrêter. Nous n’avons rien pu faire, je suis désolé.»

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