Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Défi Marathon #1

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Image : créée par upklyak – fr.freepik.com

Contrainte : Descriptions

Tout dans cette pièce reflétait l’état d’esprit actuel de Jen. Son bureau était vieux et bancal, maintenu stable uniquement grâce à un morceau de carton plié en quatre. Son ordinateur vrombissait à chaque fois qu’elle lui demandait le moindre effort, comme par exemple ouvrir un document ou afficher une page internet. Sa chaise grinçait à chaque mouvement, et la lumière jaunâtre diffusée par une ampoule en fin de vie n’arrangeait absolument pas ce tableau déprimant. Un lit défait croulant sous une multitude de plaids et de coussins, pourrait inciter à la sieste si son cadre était un peu moins fissuré. Dans l’état actuel des choses, il paraissait prêt à s’écrouler au moindre mouvement et n’inspirait pas vraiment confiance. Sur le bureau, les choses n’étaient pas plus réjouissantes. Une vieille tasse verte reconvertie en pot à crayons débordait de toutes sortes de choses – mais pas de crayons. Des câbles serpentaient dans toutes les directions, celui du clavier, de la souris, du casque, le chargeur du téléphone, celui de la tablette, ils se mélangeaient tous dans un désordre pénible à regarder, prisonniers d’une paire d’écouteurs qui s’étaient enroulée autour d’eux. Et pour compléter ce capharnaüm supposément organisé : des cahiers. Une montagne de cahiers. Des grands, des petits, des carnets, des blocs, des jolis, des scolaires, certains à carreaux ou à lignes, à spirales, reliés. Plus ou moins remplis, avec des bouts d’idées, des débuts d’histoires, des fins. Des milieux aussi. Des descriptions de personnages jamais utilisées, des morceaux de dialogues, des gribouillis rageurs et des phrases raturées.

En y posant ses lunettes le temps de se frotter les yeux, Jen ressenti une vague culpabilité. Elle devrait probablement ranger un bon coup son bureau, faire du tri, un grand ménage par le vide qui lui permettrai de retrouver de la place pour travailler, et d’organiser ses affaires et ses idées. Là, elle avait l’impression que chaque jour était un combat sans fin contre le désordre accumulé. Une bagarre perdue d’avance, qu’elle devrait mener tous les jours pour voir une once de progrès. Très lucide, elle décida que de toute façon, même après un rangement façon tornade son bureau serait à nouveau dans le même état deux jours plus tard, et repoussa toute velléité de rangement.

Avec un soupir, elle remit ses lunettes, et se replongea dans son document. Elle avait commencé à écrire une histoire mais son écriture manquait de fluidité, et chaque paragraphe lui demandait des efforts considérables ainsi qu’une relecture qui était proche de la torture. À chaque lecture, elle trouvait de nouveaux défauts : ici une faille dans l’intrigue, là un personnage censé être attachant mais qui se révélait en fait particulièrement antipathique, un peu plus loin une tournure de phrase qui sonnait bizarrement malgré une grammaire correcte. Ce nouveau projet était un cauchemar.

Et le pire ? Elle ne pouvait même pas lever la tête pour se changer les idées. Face à elle, accroché au mur, trônait un grand tableau blanc, couvert de morceaux de feuilles maintenus par des aimants, d’annotations écrites au feutre, et de flèches partant dans toutes les directions. Elle avait essayé les outils en ligne pour poser ses idées, places les éléments de son histoire et les assembler, mais elle revenait toujours à cet espèce de monstre hybride, mélange de post-it et de dessins, qui était censé représenter l’ordre chronologique des événement. C’était devenu un jeu pour les amis qui passaient chez elle : essayer de déchiffrer ce qui se passait sans se perdre dans le labyrinthe des annotations. Manque de chance pour eux : c’était un jeu perdu d’avance. En tournant la tête, elle pouvait voir sa fenêtre, et par delà un spectacle tout aussi peu réjouissant. Le ciel restait désespérément gris malgré un mois de juillet bien entamé, et la pluie tombait régulièrement, la forçant généralement à entasser deux ou trois serviettes sous sa fenêtre qui était à peu près aussi hermétique qu’un filet de pêche. Un temps tout à fait à la hauteur de son moral actuel. Aucune vacances en perspective cet été, et ce fichu manuscrit qui n’avançait pas et monopolisait la moindre seconde de ses journées, il y avait de quoi en déprimer plus d’un. C’est ici qu’elle passait la plupart de son temps et malgré le désordre, les meubles usés et dépareillés, et les infiltrations sous la fenêtres, elle s’y sentait globalement bien. Le tout gagnerait à être un peu mieux décoré, mais c’était son univers. Son endroit préféré, c’était son lit. Si le cadre était en fin de vie, le matelas lui était flambant neuf, et lui avait coûté une bonne partie de ses économies. Indispensable pour un sommeil de qualité. Au dessus de son lit, elle avait fixé des cartes postales envoyées par des amies rencontrées sur internet, des photos prises en soirée, des pin’s achetés à des créatrices découvertes sur Twitter, des autocollants de groupes de musique, des badges féministes… Tout ce qu’elle récupérait à droite à gauche et qui avait une valeur sentimentale pour elle se retrouvait accroché là, dans un patchwork coloré qui lui mettait du baume au cœur les jours où rien d’autre ne pouvait la dérider.

Elle tapotait sur son clavier d’un air absent, faisant rouler sa chaise d’avant en arrière, à la recherche de l’inspiration, d’un éclair de génie inattendu qui pourrait la sortir du marasme créatif dans lequel elle se trouvait depuis des jours. En feuilletant un cahier, elle retomba sur une idée qu’elle avait balayé sitôt qu’elle l’avait eu, et décida finalement de l’intégrer à son chapitre, coupant et collant des paragraphes entier pour lui faire de la place. Elle savait bien qu’au moment de relire le tout, le chantier serait titanesque pour assembler tous ces morceaux collés à la diable et donner l’impression que tout était prévu comme ça depuis le début, mais pour l’instant l’essentiel était d’avancer. Ce n’était qu’un premier jet, elle aurait bien le temps de lisser chaque chapitre une fois qu’elle aurait fini de sortir toute cette histoire d’une manière à peu près cohérente.

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