Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Les Portes

5
(1)

Image par Peter H de Pixabay

– 8, 9, 10, cachés ou pas, j’arrive !

Mahault s’élance dans la vieille maison. Elle n’est pas très rassurée, c’est sa première visite chez ses cousins, et la bâtisse est gigantesque et particulièrement vieille. Le sol grince et craque au moindre pas, les ombres s’accumulent dans les coins et recoins, et des objets bizarres et hors d’âge s’entassent sur des étagères branlantes. Elle a été héritée d’une arrière grande tante au deuxième degré, ou quelque chose comme ça, et son oncle et sa tante ont sauté sur l’occasion pour déménager à la campagne. Depuis le début des vacances, Mahault et ses cousins passent le plus clair de leur temps dehors, à se gaver de fruits dans le verger, à jeter des cailloux et des bouts de bois dans la mare boueuse, et à s’inventer des missions d’aventuriers dans le jardin aussi démesuré que la maison. Mais aujourd’hui, c’est la tempête, et tout le monde est coincé à l’intérieur. Si les adultes s’en accommodent, les enfants ont plus de mal. Cette vieille maison est vraiment bizarre. Les tableaux sur les murs représentent des endroits que personne ne connaît, les tapisseries font froid dans le dos, et pire que tout : il y a des pièces interdites. Rien ne peut être à la fois plus effrayant et plus attirant pour des enfants que des pièces fermées à clé, dont on leur a dit «Ici, interdit d’entrer». Leur imagination leur offre des dizaines de scénarios, tous plus abracadabrantesques les uns que les autres. Peut-être qu’il y a des objets magiques. Peut-être que quelqu’un est enfermé dedans. Peut-être que quelqu’un est MORT dedans. Peut-être que son cadavre y est toujours. Le soir, dans la chambre qu’ils partagent, lorsqu’ils sont chacun bien bordé dans leur lit, ils se racontent ces histoires en frémissant de peur.
Mahault commencent à chercher ses cousins. Si elle avait eu son mot à dire, ils n’auraient sûrement pas joué à cache-cache. Déjà parce que c’est un jeu de bébé, et en plus parce qu’elle ne se sent pas très à l’aise à l’idée d’explorer cette maison et d’en fouiller le moindre centimètre carré à la recherche de Tom et Erwan. Elle regarde autour d’elle. Décidément, cette maison lui donne la chair de poule. Elle commence ses recherches par le salon, une immense pièce dans laquelle trône une cheminée toute aussi énorme. À priori, personne ne s’y cache. Quoique… Elle s’approche des rideaux en velours verts totalement démodés, et pousse un hurlement quand Erwan en jaillit en criant, comme un diable sortant de sa boîte. Le cœur battant à toute allure, Mahault donne un coup de pied à son cousin, qui rigole tellement qu’il est obligé de s’asseoir par terre le temps de reprendre son souffle. Mahault le laisse planté là, et se dirige vers la cuisine. Il y a une porte condamnée là-bas, et la seule idée de devoir passer devant lui hérisse les poils. La cuisine est déserte. Déserte et glacée, elle frissonne en l’explorant.

– Tom ? Allez sors ! J’ai plus envie de jouer.

Elle sent l’angoisse monter, sans aucune raison. Elle est dans une cuisine démodée mais normale, dans laquelle il n’y a rien d’inhabituel. À part une porte fermée à clé, évidemment. Une porte fermée à clé, qui mène on ne sait où. Une porte fermée à clé, qui mène on ne sait où, et dont il est formellement interdit de s’approcher. Elle bat rapidement en retraite dans le salon, où Erwan rit encore de sa si subtile plaisanterie.

– J’ai pas trouvé Tom. Et j’ai plus envie de jouer. Votre maison… Brrr. Désolée, je pense que je ne me sentirais jamais à l’aise ici.
– Du charme oui, bien sûr, on va dire ça. Le charme d’une maison hantée, ou d’un cimetière, ou d’un endroit maudit. Chacun sa définition du charme hein !

Erwan arrête de rire.

– Sérieusement Mahault ? C’est une vieille maison d’accord, mais… C’est juste une maison. Tu te montes la tête. C’est à cause des histoires qu’on invente le soir ? Tu sais comment ma mère appelle ça ? Des carabistouilles. C’est du vent tout ça, la maison est juste vieille. Je te pensais pas si impressionnable.
– Je ne suis pas impressionnable ! , crie Mahault qui se sent à présent plus énervée qu’effrayée, Je ne suis pas impressionnable, je dis juste que… Laisse tomber, tu ne comprendrais pas. Je vais dehors.

Elle sort en claquant la porte, et se retrouve sous une pluie battante. Elle est furieuse. Pourquoi Erwan ne veut-il pas comprendre ? Il a entendu les bruits lui aussi, il passe tous les jours devant les portes condamnées, comment peut-il ne pas sentir que quelque chose ne va pas ? Elle regarde la maison, qui semble la dominer de toute sa hauteur. Même de l’extérieur elle paraît effrayante. On dirait l’une de ses maisons abandonnées, dans lesquelles les ados des séries télé vont pour se flanquer la frousse alors que tout être normalement constitué refuserait d’y poser ne serait-ce qu’un orteil. Si elle l’osait, elle appellerait ses parents pour leur demander si elle peut rentrer plus tôt que prévu. Chaque jour qui passe la met un peu plus sur les nerfs, et ce ne sont pas les paroles de son cousin qui réussiront à l’apaiser. À pas lourds, les chaussons imbibés d’eau, elle se dirige vers le garage. Il est tout neuf, la construction vient de s’achever, et il ne dégage pas la même sensation de malaise que la maison. Elle s’y réfugie avec un soulagement inexplicable. C’est juste un cube de béton qui sent vaguement l’essence, dans lequel s’entassent toutes sortes d’outils. Elle se glisse sous un établi, pose son menton sur ses genoux, et finit par sombrer dans un sommeil profond.

Elle est réveillée par des éclats de voix, des gens qui crient son nom. Les membres ankylosés, elle se relève doucement, et passe la tête par la porte. Sa tante la repère immédiatement, et se précipite sur elle.

– Mahault ! Tu nous a fait une de ses peurs ! Tout va bien ? Qu’est ce que tu faisais là-dedans ? Viens te mettre au chaud, tu vas attraper la mort avec ces vêtements trempés !

Elle n’a pas le temps d’en placer une, et se retrouve assise dans l’un des grands fauteuils du salon, enroulée dans un plaid, avec une tasse de tisane fumante à côté d’elle.

– Désolée, je ne voulais pas vous inquiéter. Je voulais juste…Être un peu seule. J’aimerais bien rentrer chez moi, je crois.

Son oncle et sa tante échange un regard désolé.

– Malheureusement Mahault, tes parents ne rentrent que la semaine prochaine. Nous n’allons quand même pas te renvoyer chez toi pour que tu y reste toute seule ! Tu es bien mieux ici avec nous.

Son oncle lui tapote la tête dans un geste qui se veut affectueux, et quitte la pièce suivi par sa femme. Restée seule, Mahault soupire. Dès son retour dans la maison, elle l’a senti. Ce malaise. Cette impression désagréable, ce mauvais pressentiment, elle ne sait pas comment appeler ça, mais c’est mauvais, et ça lui colle à la peau. Elle se sent oppressée. Habituellement, les journées au grand air la tienne à distance de cette… chose, mais là, après plus de vingt quatre heures enfermées, elle suffoque. Elle ne sait même pas où sont ses cousins, et elle n’ose pas les chercher. Pourtant, elle ne serait pas contre un peu de compagnie, au moins pour se changer les idées. Elle est toujours en train de se morfondre quand Erwan arrive.

– T’as pas vu Tom ?

Mahault fronce les sourcils.

– Pas depuis ce cache-cache débile auquel vous m’avez fait jouer. Pourquoi ?
– Je le cherche partout depuis tout à l’heure, impossible de le trouver. Depuis le temps, il aurait dû sortir de sa cachette, au moins pour se vanter d’avoir gagné.

Erwan a raison. Tom est un incorrigible vantard, et la partie était finie depuis des heures. Habituellement au bout de 10 minutes il bondissait triomphalement hors de sa cachette en braillant «J’ai ENCORE gagné !», sur un ton qui ne laissait aucun doute quant à son envie d’ajouter un «bande ne nazes» à la fin de la phrase.

– Je vais t’aider à chercher si tu veux.

À peine sont-ils sortis de sa bouche que Mahault regrette ses mots. Elle n’a aucune envie de mener des recherches dans la maison, elle veut juste partir loin d’ici, et ne jamais revenir. Elle se lève pourtant, et suit Erwan qui s’éloigne rapidement. Ils fouillent toutes les pièces une par une, consciencieusement. Soulèvent les rideaux, ouvrent les placards, regardent sous les lits. À chaque nouvelle pièce explorées, Mahault tremble un peu plus. Ils sont passées dans presque toutes les pièces, mais toujours rien. Elle en vient à espérer que Tom ait triché, qu’il soit parti se cacher dehors, pour le plaisir de les piéger. Mais elle sait bien qu’il ne ferait jamais ça. C’est un vantard et un mauvais perdant, mais ce n’est pas un tricheur.

Plus que deux pièces. Deux portes derrière lesquelles il peut être caché. Mahault a l’impression d’entendre son cœur battre dans ses oreilles, elle a les larmes aux yeux et respire par à-coups. Même Erwan est silencieux depuis plusieurs minutes. Est ce que lui aussi est étreint par cet horrible pressentiment ? Plus qu’une pièce, l’une de celles avec une porte interdite. Vide.

Non, pas vide. Là en plein milieu, par terre, il y a une vieille clé. Elle ignore comment, mais Mahault est persuadée qu’il s’agit de la clé de la portes condamnées. Erwan s’en saisit, et sans se retourner il déverrouille la vieille porte, qui s’ouvre avec un grincement atroce. Il fait un pas, puis deux. Se retourne vers Mahault, couvert de sang, un cri muet sur les lèvres.

La porte se referme dans un claquement, laissant Mahault seule, son hurlement brisant le silence assourdissant de la maison.

Ce texte t’a plu ?

Clique sur les cœurs pour le montrer !

5 / 5. Nombre de votes : 1

Aucun vote pour l’instant ! Sois le premier à voter !

Au Suivant Poste

Précedent Poste

Poster un Commentaire

© 2024 Champ d’orties

Thème par Anders Norén

Aller au contenu principal