Champ d’orties

Histoires courtes, textes improvisés et gribouillages

Qu’est ce que j’oublie ?

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Image par Jan Vašek de Pixabay

Décidant de laisser le hasard choisir à sa place, elle arma son bras derrière son épaule, et le laissa se détendre avec puissance ; alors, elle ferma les yeux et attendit d’entendre le «tchac» de la fléchette touchant sa cible pour les rouvrir, et se pencher sur la carte afin de découvrir sa destination : elle lui plut instantanément. La fléchette était plantée, bien droite, au beau milieu de l’Islande. Bérengère commençait déjà à rêver : les paysages splendides, les sources naturelles, la culture locale, les volcans, les fjords… Les aurores boréales ! Un petit paradis sur Terre, qu’elle allait pouvoir découvrir au fil des jours. Elle imaginait déjà les randonnées à faire, les glaciers à découvrir, les rudiments de la langue qu’elle espérait apprendre pendant son séjour ! Brûlant d’impatience, elle se précipita dans sa chambre, pris sous son lit son fidèle sac à dos, recousu, décoloré, taché, et commença à entasser dessus le minimum vital. Quelques sous-vêtements et vêtements, une trousse de toilette réduite au minimum vital, son passeport… Elle sentait qu’il manquait quelque chose. Tournant sur elle-même, elle parcouru sa chambre du regard. Rien ne sauta aux yeux, rien ne lui paraissait essentiel pour ce nouveau voyage. Elle n’avais pas besoin de grand-chose, elle ferait du stop jusqu’à l’aéroport, sauterait dans l’avion le moins cher possible, et reprendrai le stop dès l’atterrissage. Pourtant, quelque chose manquait. Elle finit par hausser les épaules, enfiler sa veste, jeter son sac sur son dos, et claquer la porte de son studio. Elle finirait bien par trouver ce qu’elle oubliait, et soit elle s’en passerait, soit elle trouverait une autre solution. Elle chassa ce problème de son esprit, et se concentra sur la première étape du voyage. Marchant jusqu’à la bretelle d’accès du périphérique la plus proche, elle accrocha sur son visage son plus beau sourire, celui qui disait « Faites-moi confiance, prenez-moi en stop ». Cela marchait plutôt bien, en général. Cette fois encore, elle eu de la chance : elle ne vit passer qu’une quinzaine de voiture avant de voir quelqu’un s’arrêter. En voyant la quantité de bagages entassés à l’arrière, elle sut que c’était gagné : cette personne se rendait forcément à l’aéroport.

Arrivée à l’aéroport, la sensation de manque revint, plus forte encore qu’avant son départ. Assise par terre, elle fit un inventaire du contenu de son sac. Tout ce qu’elle considérait comme indispensable était dedans. Et pourtant, quelque chose manquait. Fouillant dans ses poches, elle y vérifia la présence de son portable et de ses clés. Elle ne comprenait pas. Jamais elle n’avait ressenti cette sensation aussi fortement. Généralement, elle oubliait chez elle son billet de train, ou son chargeur de téléphone, et s’en rendait compte rapidement. Aujourd’hui, elle était sûre de n’avoir rien oublié, et pourtant l’inquiétude la rongeait. Pour essayer de s’occuper l’esprit, elle se tourna vers l’écran annonçant les départs. Le prochain pour Reykjavík était annoncé dans quatre heures, ce qui lui laissait largement le temps d’acheter son billet. Elle devrait ensuite patienter, tourmentée par cette sensation de manque.

Son billet en poche, elle commença à faire le tour de l’aéroport, feuilletant les revues au kiosque, hésitant devant les pains au chocolat de la boulangerie, s’amusant de voir des enfants faire rouler derrière eux leur toute petite valise à roulettes. Mais rien à faire. Le vide était toujours présent, dans sa tête, dans son ventre. Il prenait de plus en plus de place, menaçant de l’envahir totalement. Elle attendait l’heure du départ avec impatience, persuadée qu’une fois dans l’avion, elle se sentirait mieux. Elle devait être victime du stress du départ, voila tout. Ce n’est pas parce qu’on a l’habitude de voyager qu’on ne peut pas se sentir nerveux une fois de temps en temps, n’est-ce pas ? Elle savait que son raisonnement ne tenait pas la route, mais c’était le seul qui lui permettait d’éloigner un tant soit peu l’angoisse qu’elle ressentait.

L’embarquement fut rapide, et elle découvrit avec plaisir qu’elle n’aurait pas de voisin pendant ce vol. Parfait. Plus de place pour les jambes, et aucun risque de se retrouver avec la tête d’un dormeur sur l’épaule. Pas besoin non plus d’occuper un enfant qui voyagerait seul et trouverait le temps long. Enlevant sa veste, elle bailla largement. Il était temps de passer en mode sommeil : écouteurs pour s’isoler du bruit ambiant, coussin gonflable derrière la nuque, avec ça elle était capable de s’endormir n’importe où. Sauf aujourd’hui, apparemment. S’agitant sur son siège, elle essaya de trouver une position plus confortable. Rien n’y faisait. Le vide qu’elle ressentait était devenu oppressant, et le fait d’être enfermée dans une boîte de conserve volante n’arrangeait pas les choses. Elle qui avait toujours adoré les voyages, elle ne comprenait pas. Comment un objet oublié pouvait provoquer une telle angoisse ? Qu’est ce qui pourrait arranger les choses ? Elle voulu regarder dehors, mais les nuages qui emplissaient le ciel avec perdu leur aspect cotonneux, pour prendre une teinte orageuse. Ce début de voyage devenait de plus en plus déplaisant, et elle sentait progressivement toute son excitation disparaître. Au moment de l’atterrissage, son humeur était accordée au temps : nuageuse, avec une prévision d’orage. Elle avait pour objectif de faire du stop jusqu’au centre ville, pour y trouver une auberge de jeunesse, mais à peine avait-elle mis le nez dehors qu’une pluie diluvienne s’abattait sur l’aéroport. Décidément, ce voyage n’était pas le bon. Résignée, elle se dirigea vers l’un des hôtels de l’aéroport, traînant les pieds et sa sensation de vide en même temps que son sac à dos. Elle hésitait presque à reprendre un avion en sens inverse, pour mettre un terme à cette catastrophe touristique. Perdue dans ses pensées, elle heurta de plein fouet une femme qui venait d’entrer dans le hall de l’aéroport, et qui se trouvait manifestement à l’extérieur lorsque la pluie était arrivée. Dégoulinante, un parapluie retourné à la main, elle arborait malgré tout un sourire tellement éclatant qu’il aurait pu mettre fin à la tempête. Difficile de garder une mine renfrognée quand on se trouve face à quelqu’un d’aussi joyeux ! Bérengère s’apprêtait à lui présenter ses excuses, mais l’inconnue commença à parler en même temps. Après quelques secondes de silence, un fou rire les prit. Irrésistible. Interminable. De ces fous-rires incontrôlables qui nous laissent essoufflés, et qui font mal aux abdos. Bérengère sentit une partie de la tension accumulée pendant le vol s’envoler. Elle respirait plus facilement. Avant d’aller affronter les hôtels peu engageant de l’aéroport, les deux femmes décidèrent de s’installer pour boire un café. C’était curieux, cette facilité. Même si elle avait le contact facile habituellement, Bérengère n’avait jamais ressentit cette sensation de confort. Comme si elle retrouvait une vieille amie, où qu’elle connaissait cette femme depuis des années. Les sujets de conversations s’enchaînaient, les rires aussi, et puis les silences parfois. Pas ces silences lourds, qui inquiètent et donnent l’impression que la conversation ne repartira jamais. Des petits silences légers, confortables. Presque complices. Les heures passaient, et la sensation de vide s’effaçait. L’angoisse qui étreignait Bérengère depuis son départ laissait progressivement sa place. Habituée à la solitude, elle avait depuis des années oublié le bien-être que l’on peut ressentir à partager ses expériences avec quelqu’un. A discuter, . Ce n’était pas un quelque chose qu’elle avait oublié en partant. C’était un quelqu’un. Un compagnon de voyage. Un ami. Une personne avec laquelle, dans quelques années, elle pourrait se remémorer ses aventures. Avec laquelle elle pourrait partager des « Tu te souviens de la fois où… ? » et des « Quand est-ce qu’on repart ». Une personne avec qui prendre des photos incroyables, partager des plats locaux improbables, se battre contre ses peurs pour découvrir le monde, toujours plus. Peut-être que ce voyage était celui qu’il lui fallait, pour comprendre que la solitude a du bon, mais que le partage en a également. Une nouvelle étape dans sa découverte des pays lointains, et dans sa découverte d’elle-même. La nuit tombait sur Reykjavík, mais un nouveau soleil se levait sur l’avenir de Bérengère, un soleil communicatif, qui avait besoin d’être partagé pour continuer à briller.

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